Impôts, 2: retour à l'Ancien Régime

Publié le par cassetoi-vlp

 

Ces temps-ci, les impôts et taxes sont très présents dans l'actualité, vous l'aurez forcément remarqué.
Peut-être aurez-vous aussi noté que ces questions font l'objet d'un traitement biaisé particulièrement dangereux ? Je ne m'attarderai pas sur le cas des footballeurs multimillionnaires qui pleurent la bouche pleine. Qu'ils lisent (ou se fassent lire) simplement « l'Humain d'abord » ou « Qu'ils s'en aillent tous » : cela leur donnera la mesure de leur chance. Au-dessus de 300 000 € pour une part fiscale, nous aurions tout pris. Et personnellement, j'aurais tout de même réussi à retenir mes larmes. Mais là n'est pas la question du jour.

Je vais aujourd'hui revenir sur l'écotaxe. Non pas sur ce que les médias en montrent. Moi qui ai envers la Bretagne un attachement sentimental, je souffre de voir l'histoire bretonne exploitée et détournée aux fins de dispenser une poignée d'entrepreneurs de prendre leur part de l'effort collectif. Et surtout de délégitimer l'impôt, voir note précédente. Ce mouvement ressemble trop au Tea Party étazunien, lui aussi commémorant une rébellion antifiscale, pour ne pas m'inquiéter quant à ses suites.

Voici donc deux choses dont je ne vais plus parler. Oui, je viens au sujet. Il s'agit du mode de perception de ladite écotaxe. Pas trop sexy, a priori. Ne zappez pas, cela va venir. On a évoqué les centaines de millions que l'état perdrait s'il renonçait maintenant à cette mesure d'écologie punitive. Il ne s'agit pas seulement de payer l'installation des portiques. Le plus gros de cette dette provient du fait que la perception de cet impôt a été confiée à un consortium privé. Et cette énormité ne suscite pas plus de commentaires que cela.

Des entreprises privées vont percevoir nos impôts, vérifier qui doit combien, négocier des délais en cas de problème, et se servir sur le gâteau, mais c'est secondaire. On ne va pas en faire une question de principe. Le privé est plus efficace. La preuve : ces portiques de surveillance, c'est moderne et efficace comme tout.

Eh bien si, et non.

 

Si, on va en faire une question de principe. Parce que nous ne sommes pas un peuple sans mémoire. Parce que l'Ancien Régime aussi avait affermé les impôts. Ce qui fut l'occasion de scandaleux enrichissements et de corruption à grande échelle. La place était trop bonne à prendre. Et bien sûr, les Fermiers Généraux ont fini par être aussi chargés de la répression de la fraude. Leur intérêt les poussait à bien faire le travail. Ainsi des privés ont pu envoyer des contribuables aux galères ou à l'échafaud. La brutalité de leurs brigades est restée légendaire. Accepterez-vous d'être appréhendés, réprimés, par une police privée ? Pour l'instant, bien entendu, ce sont les Douanes qui sont chargées de ce travail. Mais la suite se prépare déjà. L'accès aux données du consortium, nécessaire à la répression, est compliqué et peu sûr. Un jour ou l'autre on viendra nous expliquer que ces fonctionnaires ne savent pas y faire, et le consortium reprendra l'affaire à son compte.

 

Et non, le privé n'est pas plus efficace. Ce n'est rien de le dire, calez-vous dans le siège. Lorsque l'État perçoit lui-même un impôt, cela coûte plus ou moins 1 % de cet impôt. Eh bien, pour percevoir les 1200 millions de l'écotaxe, nos performants prestataires facturent 280 millions ! Retirez-en 50 que l'État récupère en TVA, il en reste tout de même 230, soit... ? 19,16 % des sommes collectées. Ces gens vont percevoir leur propre TVA sur nos impôts. Rideau.

 

Bon, mais après tout, pourquoi se méfier systématiquement des entrepreneurs, qui sont dynamiques, compétents, réactifs, efficaces ? Pourquoi, en effet... Voyons donc qui ils sont. À tout seigneur tout honneur, dans la liste des sociétés intéressées à ce partenariat, on trouve Goldman-Sachs. Afin d'éviter de sombrer dans la grossièreté je n'en dirai pas plus sur eux. Rions un peu, la SNCF participe aussi. Rappelons qu'elle possède une importante filiale de transport routier (Geodis), et démêlez vous-mêmes l'imbroglio des intérêts. Parmi les Français voici aussi Thales, SFR, bien connu pour sa transparence tarifaire, et... Total ! Après avoir pris son profit sur le carburant, à l'entrée du réservoir, cette aimable organisation se sert à la sortie, sur la fumée. Je vous laisse débrouiller l'écheveau des autres participants à Ecomouv' (c'est le nom du consortium), dans l'article cité en fin de note. C'est un tel plat de spaghetti de participations croisées, qu'une seule chose est sûre : on s'y perd et c'est fait pour.

 

Reste quelques détails amusants pour la route.

 

D'abord, toutes les routes ne sont pas soumises à l'écotaxe. Elle concerne une petite moitié du réseau national, mais pas les autoroutes. Non, non, les dizaines de milliers de camions qui font le trajet Belgique-Espagne ne polluent pas. Toucher aux profits des sociétés d'autoroutes ? Vous n'y pensez pas. On n'a pas mis en place un partenariat public-privé pour en bousiller un autre.

 

Ensuite, les millions que doit collecter Ecomouv' ne seront pas rendus tout de suite à l'Etat. Seulement en fin d'année. N'imaginez pas une seconde ces gens laisser dormir de telles sommes. Mieux: s'ils restent dans leurs pratiques habituelles, nos impôts iront passer des vacances aux îles Caïman avant même de parvenir à leur destinataire légitime.

 

Enfin, un État qui reconnaît ne plus être en mesure de percevoir l'impôt a du souci à se faire concernant sa survie. Mais pas seulement l'État : rappelons que sur les 40 fermiers généraux que comptait la France avant la Révolution, 28 ont fini guillotinés.

 

 

Références sur l'écotaxe : un article riche de nombreuses autres informations, sur Bastamag.

Concernant les Fermiers Généraux, précurseurs des DSP, PPP, etc... Wikipedia

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A
Oui, en réalité ce qu'il y a derrière tout cela c'est une privatisation de l'Etat. L'Ecotaxe n'en est qu'un exemple, mais ça va du partenariat public-privé, à la décentralisation, à l'introduction de la culture d'entreprise au gouvernement (comme si l'Etat était moins efficace que le privé). Sur ce thème il faut lire l'ouvrage de James Galbraith &quot;l'Etat prédateur&quot;. L'Union européenne a pour presqu'unique but l'asservissement des Etats nationaux, soit un transfert de l'argent public vers le privé. <br /> <br /> voir aussi http://in-girum-imus.blogg.org/
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